
Les enfants d’aujourd’hui portent des mémoires de guerre
Il arrive parfois, lors des séances de communication intuitive mais aussi en constellation familiale, que les enfants expriment à travers leurs mots, leurs émotions ou leurs comportements des mémoires qui ne leur appartiennent pas directement, mais qui proviennent de leurs ancêtres.

Ces mémoires sont parfois liées à des périodes de grands traumatismes collectifs, comme la guerre de 14-18 et 39-45.
Régulièrement, lorsqu'il ressort en séance que l'un de nos enfants porte un traumatisme vécu par un arrière-grand-père ou une arrière-grand-mère, on pense parfois à tort qu’« il ne s’est rien passé de particulier dans leurs vies, mis à part la guerre ».
Nous avons tous des ancêtres (pas la peine de remonter très loin) qui ont vécu la guerre. Mais alors, pourquoi nos enfants porteraient-ils ces mémoires ? Et c’est vrai, pourquoi ?
Tout simplement parce que cette époque a laissé une empreinte extrêmement forte dans les corps et dans l’inconscient de nos lignées. Quel que soit le statut social, le lieu de vie, la situation ou l’âge, tous ont été soumis à de grands stress, à des peurs, à des pertes, à des manques. Pour beaucoup, cette période a laissé une plaie ouverte, parfois restée béante toute une vie.
Lorsqu’un trauma n’a pas pu être parlé ni apaisé, il continue de se transmettre silencieusement. Les enfants, dans leur grande sensibilité, peuvent alors manifester ce que la famille n’a pas encore pu reconnaître (la douleur, la honte, la peur…).
En séance, j'ai rencontré :
Jules, 7 ans, cet enfant qui sursautait au moindre bruit soudain : un orage, un pétard, une tondeuse. Son cœur s’emballait, et son corps réveillait la mémoire de deux générations ayant vécu les bombardements, les sirènes d’alerte. Ces sons résonnaient encore à travers lui.
Et puis, il y a eu cette petite fille de 3 ans qui ne supportait pas l’idée d’être séparée de sa maman, même quelques heures. Son angoisse semblait disproportionnée, mais quand on écoute plus loin, elle faisait écho à des séparations forcées, vécues par d’autres avant elle : des enfants évacués, des familles dispersées pendant la guerre.
Parfois, c’est un refus d’obéir, une rébellion face à toute forme d’autorité. Comme si, au fond d’elle, l’âme savait que « obéir » peut parfois coûter la vie. Pour ce petit garçon de 6 ans, ce refus portait la mémoire d’un ancêtre mort pour avoir suivi des ordres injustes.
Et puis, il y a ces adultes que j'accompagne aussi, qui vivent avec cette inquiétude constante liée au manque : de nourriture, d’argent, de sécurité. Ces peurs semblent sans raison apparente, et pourtant elles racontent les privations et le rationnement vécus pendant la guerre. Le corps, fidèle messager, n’oublie rien !
Depuis quelque temps, ces mémoires de guerre reviennent souvent en séance. Et dans le contexte actuel, où beaucoup ressentent à nouveau l’insécurité, l’incertitude ou la peur du futur, ces mémoires collectives semblent se réactiver.
Les messages reçus à travers les enfants sont de véritables appels à la conscience. Ils nous poussent à reconnaître ce qui n’a pas pu être vu ni entendu à l’époque, pour que ces blessures puissent enfin se libérer, au lieu de se répéter.
Au-delà de toutes ces réflexions, il y a les visages. Ceux de nos ancêtres, parfois figés dans la retenue, dans la rigueur ou dans le silence.
Je ne peux m'empêcher de penser à mon arrière-grand-mère, Catherine.
Cette femme décrite comme froide, pieuse, autoritaire. On disait qu’avec elle, « ça filait droit ». Mais derrière cette image, il y avait une femme profondément marquée par la guerre. Elle a perdu une sœur, deux frères tombés au combat lors de la Première Guerre mondiale. Elle a perdu aussi son premier mari, fauché par cette même guerre. Et plus tard, elle a vu son propre fils partir à son tour pour la Seconde Guerre mondiale.
Comment une femme, un cœur, un corps peuvent-ils traverser tant de pertes sans se refermer ?
Comment continuer à aimer, à transmettre, à sourire, quand le monde s’est écroulé plusieurs fois sous ses yeux ?
Aujourd’hui, en écrivant ces lignes, j’ai une pensée pour elle, et pour toutes ces femmes, ces hommes, ces familles qui ont survécu, mais dont une part d’eux-mêmes est restée dans le silence de l’après.
Et pourtant, quand je te regarde, Catherine, moi je vois tout autre chose.
